Presque dix jours après la collision au large du Cap Corse, des résidus d’hydrocarbures se sont échoués mardi sur des plages de l’est du Var, dont la célèbre plage de Pampelonne, dans le Golfe de Saint-Tropez. Une pollution qui, selon la préfecture maritime de Méditerranée, « semble provenir du pétrole échappé » lors de l’accrochage entre les deux navires.
Le même jour, le secrétaire général de l’Union générale tunisienne du travail (UGTT), Noureddine Taboubi, a indiqué que ceux qui ont provoqué la collision ne bénéficient d’aucune couverture de la part de la centrale syndicale – et ne méritent même pas leur place dans le secteur public, a-t-il ajouté. Le représentant est même allé jusqu’à demander au chef du gouvernement, Youssef Chahed, de dépêcher une commission indépendante pour faire la lumière sur cet épisode qui défraie la chronique depuis dix jours.
Un comportement « anormal »
Dimanche 7 octobre, vers 7h du matin, un navire tunisien (l’Ulysse), parti de Gênes vers Tunis, a percuté de plein fouet un porte-conteneurs chypriote (le Virginia). Ce dernier se trouvait alors au mouillage, à 26 kilomètres du Cap Corse. De telles images sont inhabituelles dans une Méditerranée occidentale où les accidents sont rares, particulièrement en pleine journée et dans des conditions météorologiques favorables.
IL EST ÉVIDENT QU’IL N’Y A PAS EU DE VEILLE À LA BARRE DU NAVIRE ROULIER
Pour les observateurs, la responsabilité de l’équipage tunisien est sans équivoque. « Le comportement du navire roulier tunisien est complètement anormal », a souligné le ministre français de la Transition écologique, François de Rugy, qui s’est rendu sur place le jour-même en hélicoptère. « À ce stade, on ne peut pas dire ce qu’il s’est passé, mais il est évident qu’il n’y a pas eu de veille à la barre du navire roulier. Sinon, la collision aurait pu être évitée », a-t-il assuré.
Rapatriés dimanche 14 octobre à 18h au port de Radès (Tunis), trois des membres de l’équipage de l’Ulysse ont été arrêtés. Les autorités leur reprochent notamment d’avoir gravement porté préjudice à l’image de l’État. La CTN devra également indemniser l’armateur chypriote à hauteur de 40 millions de dinars (environ 12,2 millions d’euros), sans compter les frais de dédommagement pour la pollution maritime engendrée.
Une désolidarisation compliquée
La désolidarisation des deux navires a mobilisé une large équipe pendant cinq jours. Jeudi soir, la préfecture maritime de Toulon a annoncé que les deux navires avaient enfin été séparés. Après deux tentatives, chacune soldée par un échec, les huit bateaux, quatre français et quatre italiens, ont finalement réussi à mener à bien cette opération plus que délicate.
Pourtant, la CTN défend une autre version des faits. Dans un communiqué publié sur sa page Facebook, elle affirme que la disjonction des deux navires a été conduite par l’équipe tunisienne présente sur l’Ulysse, sans aucune intervention extérieure.
Si aucune perte humaine n’a été enregistrée, la brèche résultant de la collision a laissé s’échapper quelque 600 tonnes de fioul de propulsion. En début de semaine, les opérations de récupération d’hydrocarbures se poursuivaient sur la zone de l’accident. Selon la préfecture maritime, le porte-containers chypriote est toujours au mouillage au large de la Corse, ceinturé par un dispositif anti-pollution. Le parquet de Paris a annoncé avoir ouvert une enquête, qui a été confiée à la gendarmerie maritime française.
« Une erreur humaine flagrante »
D’après le quotidien régional français La Provence, les images sous-marines prises par les plongeurs-démineurs de la Marine nationale française montrent qu’au moment du choc, l’Ulysse voguait à 35km/h. L’impact prouve également que le navire n’a pas cherché à contourner l’obstacle.
Plus alarmant encore, le porte-conteneurs n’était pas perpendiculaire à la route habituelle entre Gênes et Tunis, mais à celle du cap insulaire. Le cargo traçait en réalité plein sud. Une telle trajectoire laisse donc supposer que, sans la présence du porte-conteneurs chypriote, l’Ulysse aurait foncé tout droit sur l’îlot de Giraglia, à seulement 25 kilomètres de là. Les Tunisiens auraient-ils ainsi évité le pire ? Quoi qu’il en soit, la responsabilité tunisienne est quasi-irréfutable. Le ministre du Transport, Radhouane Ayara, a affirmé à la presse qu’il existe « une erreur humaine flagrante ».
LE NAVIRE TUNISIEN N’A RIEN FAIT POUR ÉVITER LA COLLISION, MAIS LE CHYPRIOTE AURAIT PU PRENDRE SES DISPOSITIONS
La commission d’enquête tentera cependant d’expliquer pourquoi le Virginia se trouvait au mouillage dans cette zone. Le ministre soutient d’ailleurs que si « le navire tunisien n’a rien fait pour éviter la collision, le chypriote aurait pu prendre ses dispositions ». La CTN s’est attachée les services de trois bureaux d’avocats, pour porter plainte contre la partie chypriote et lui faire endosser une part de responsabilité dans ce dommage.
Les autorités portuaires françaises risquent elles aussi d’être épinglées pour leur manque de réactivité. En effet, celles-ci n’ont effectué qu’une seule communication, 40 minutes avant l’incident.
Campagne de dénigrement
Depuis cet épisode rocambolesque, les critiques envers la CTN fusent en Tunisie. Certains accusent la direction de faire preuve d’impunité avec les adhérents du syndicat, sous prétexte de maintien de la paix sociale. Le député Karim Helali a même révélé, vendredi 12 octobre sur sa page Facebook, que l’un des membres de l’équipage, également membre du syndicat des marins de la CTN, avait été arrêté en 2016 pour trafic de cigarettes en Italie.
D’après un document joint à son post, le matelot en question a également été condamné à une peine de prison en Italie, ainsi qu’à une amende de 211 000 euros. « La CTN ainsi que sa famille sont intervenus pour le libérer, et son directeur l’a récompensé en lui demandant de reprendre ses fonctions après tout cela », a-t-il écrit. En 2017, le même roulier avait été arrêté au port de Marseille, après la découverte d’un réseau de contrebande de cigarettes impliquant des membres de l’équipage et deux agents de la société Duty Free.
Loin d’arranger leur cas, les membres de l’équipage ont posté une vidéo provocante où on les voit à bord du roulier tunisien Thalys, alors même que les équipes procédaient encore à la désolidarisation des deux navires. « Notre moral est au beau fixe. Il y a eu un petit problème (…) Ceux qui ne savent pas de quoi ils parlent, qu’ils se taisent. Ceux qui disent que la mer est grande, vos conneries le sont encore plus », affirme devant la caméra un membre de l’équipage.
Des images qui ont fait réagir une nouvelle fois François de Rugy, mais aussi des personnalités tunisiennes, comme la parlementaire Myriam Boujbel.