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Débat politique : Jean Louis Billon décortique la situation de l’école ivoirienne et propose ses solutions

Dans une chronique sur l’école ivoirienne, l’ancien ministre du Commerce, Secrétaire exécutif du Pdci-Rda chargé de l’information et de la Communication, décortique la situation et propose des solutions. Jean Louis Billon explore l’horizon des écoles primaires, secondaires aux universités, faisant un parallèle avec des situations ailleurs. Ci-dessous, cette contribution aux débats dont Abidjan.net a eu copie.

 EVITONS DE FAIRE DE NOTRE JEUNESSE DES ETUDIANTS EN CONFLIT AVEC LE SAVOIR

Universités ivoiriennes : La formation à reculons (1/2)

 En Côte d’Ivoire, on a le phénomène des « enfants microbes ». Pompeusement rebaptisés « enfants en conflit avec la loi ». Ces enfants microbes sont-ils une des conséquences de la crise ivoirienne ou des victimes du dysfonctionnement du système social ? Dans un autre champ, celui de l’enseignement supérieur, en proie à moult difficultés, un autre phénomène point à l’horizon : des étudiants en conflit avec le savoir.

« L’école ivoirienne va mal ». Rien de nouveau à cela. À force d’entendre cette phrase, l’idée a même fini par se banaliser. Or, derrière ce constat, se cache une réalité qui interpelle et inquiète. Nous sommes en septembre, bientôt en octobre. Une période qui rime avec rentrée académique. C’est le branle-bas chez les parents partagés entre achat de fournitures, frais de scolarité et dépenses diverses. Certes, ce moment de casse-tête est plus visible au Primaire et au Secondaire. Mais c’est aussi le cas avec le Supérieur. À la différence qu’à ce niveau, cette apparente normalité est l’arbre qui cache la forêt. En effet, depuis peu, l’heure est à la nouvelle année à l’Université Félix Houphouët-Boigny de Cocody, la plus grande université de notre pays. Normal, on dira. Sauf qu’au lieu de la rentrée 2019-2020 qui devrait commencer maintenant (comme c’est le cas pour certains), c’est plutôt l’année académique 2018-2019 qui vient d’être lancée dans bon nombre de ses départements. Une année supposée avoir débuté en octobre 2018. Soit un an de retard et toujours des rentrées irrégulières, à plusieurs vitesses. Comment peut-on expliquer cela, malgré les investissements consentis par l’État ?

Certains accusent les étudiants, quand d’autres montrent du doigt les enseignants. Tous coupables de grèves intempestives, dit-on. Oui, on ne peut nier que ce genre d’actions compromet considérablement le bon déroulement des cours. Toutefois, et à mon humble avis, une grève est un effet, pas une cause. Car la grève est le recours ultime du travailleur. Et pour entrer en grève, il faut d’abord un motif. En plus, l’entrée en grève signifie que le temps du préavis, les dispositions ou les démarches nécessaires n’ont pas été prises dès le départ pour désamorcer la situation. Il y a donc eu défaillance quelque part, ce qui est déplorable. Surtout que les problèmes de nos universités sont connus et que les solutions également sont connues. Face à cette formation à reculons, nous sommes tous concernés, et nous nous devons de réagir. Il y va du futur de nos enfants et du devenir du pays. 

Les attentes des enseignants 

Avant tout, prenons la peine d’écouter les enseignants pour savoir ce qu’ils veulent. Qu’attendent-ils de l’État, pour une année universitaire paisible et studieuse ? Indépendamment de la revalorisation des primes, des salaires et des indemnités de logements qui est une revendication commune aux fonctionnaires de Côte d’Ivoire, leurs demandes portent essentiellement sur sept (07) points : 1/le paiement des ponctions (qu’ils estiment injustifiées) faites sur les heures complémentaires au titre des années 2015-2016 et 2016-2017, 2/le paiement de la correction des copies (les enseignants invoquent le décret n°95-412 du 02 mai 1995), 3/la connexion wifi dans les universités publiques (longtemps promise, mais toujours attendue), 4/l’application des taux horaires décidés lors de l’Atelier de Bingerville du 14 mars 2019, 5/le retrait du nouveau règlement intérieur en vigueur à l’Université FHB de Cocody, 6/le respect des maquettes pédagogiques élaborées et adoptées en 2011 et 2014, 7/l’enseignement de l’Anglais et de l’Informatique depuis la première année de Licence jusqu’au Master. Selon les enseignants, ces matières qui étaient au programme ne sont plus dispensées qu’en fin de cycle, c’est-à-dire uniquement en troisième année de Licence et en deuxième année de Master.

Maintenant qu’on sait ce que nos universitaires veulent, analysons sereinement la situation. De vous à moi, en passant en revue ces revendications, qu’est-ce qu’il y a de si terrible ici pour que nos enfants ne puissent pas aller à l’école en toute tranquillité ? Lequel de ces points de litige ne peut pas trouver de solutions par la concertation, par la négociation et avec un peu de volonté ? D’autant plus que la plupart de ces revendications peuvent être résolues à partir des textes existants et sur la base des engagements pris librement par l’État vis-à-vis de la communauté universitaire. Par ailleurs, des instances dédiées existent bel et bien, ou ont expressément été mises en place à cet effet. Nous avons par exemple le Comité de Dialogue Social dans la Fonction Publique, le Conseil National du Dialogue Social, le Médiateur de la République, les Comités de Médiation et le Comité de Suivi du Protocole d’Accord portant Trêve Sociale. Que font donc toutes ces entités ? Des textes sont cités, aussi bien par le corps professoral que par l’État et les dirigeants de nos universités. Lisons-les et appliquons-les tout simplement. N’est-ce pas ce que le Droit prescrit et ce que le bon sens recommande ? Nous sommes quand même sous un pouvoir qui se dit démocratique et soucieux d’une certaine justice sociale. À présent, les parents et les étudiants, les partenaires sociaux, peuvent s’interroger sur les retombées de la Concertation nationale organisée du 17 au 19 juin dernier autour du thème : « Quel système d’enseignement supérieur et de recherche scientifique pour une Côte d’Ivoire émergente ? » L’année reprend, et les mêmes problèmes perdurent. Nous voici repartis pour une autre année académique agitée. Peut-être invalidée, peut-être blanche. Qui sait. Une chose est sûre : personne n’a le droit de prendre ainsi en otage l’avenir d’une jeunesse qui croule déjà sous le poids des problèmes de la vie.

Les problèmes des étudiants

Les étudiants, eux, demandent principalement des salles de cours équipées du matériel adéquat, une aide au transport et à la documentation, une chambre en cité universitaire et un élargissement de l’enveloppe consacrée aux bourses. C’est un minimum, compte tenu de l’intérêt que le Gouvernement dit accorder au secteur Éducation-Formation-Recherche et vu les défis liés à ce domaine. Nous savons les difficultés existentielles auxquelles nos apprenants sont confrontés. Rendez-vous dans nos universités à la tombée de la nuit et vous verrez des étudiants se réfugier en masse dans des amphithéâtres, pour y passer la nuit. Comment faire autrement avec des cités universitaires non encore réhabilitées (depuis maintenant 8 ans) et bientôt en ruine ? Où dormir lorsque les "Cambodgiens" d’hier, qui arrivaient au moins à squatter des chambres en cité, se transforment à présent en "Rohingya", des réfugiés en péril ?

Les conditions d’études ne sont pas en reste. Des cours sous les arbres, le manque de tables-bancs, la pauvreté des bibliothèques physiques et une bibliothèque virtuelle toujours en suspens, la question des espaces de révision et de restauration… Oui, être étudiant en terre ivoirienne est un parcours du combattant. Une telle situation n’est pas facilitée par la présence de syndicats d’étudiants dont certains fonctionnent comme des forces paramilitaires. On pensait pourtant ce temps révolu. Hélas. Au final, notre jeunesse estudiantine est laissée pour compte, livrée à elle-même. Elle est ainsi exposée à tous les dangers, en raison de la précarité dans laquelle elle vit : prostitution, cybercriminalité, manipulation politique et autres raccourcis de la vie, loin de la morale. La faiblesse du niveau des apprenants, héritage d’une formation insuffisante depuis le Secondaire, voire le Primaire, vient couronner le tout.

Dysfonctionnements des années académiques et aux inscriptions

Au vu de tout cela, il nous faut tirer les leçons du passé, sinon de l’année écoulée. Une année marquée par la « marche verte » des universitaires au nom de la dignité de leur profession et par « la marche blanche » des étudiants demandant la réouverture des inscriptions. Voilà une autre anomalie. Comment peut-on encore parler d’inscriptions pour l’année académique 2016-2017, alors que nous sommes en 2019 ? Sur 70.000 étudiants à l’Université FHB, on nous annonce 52.000 inscrits. Qu’en est-il des 18.000 restants ? Et dire que la situation s’est déjà produite, avec les inscriptions 2014-2015 qui avaient été prorogées jusqu’au 22 janvier 2016. L’Université Alassane Ouattara de Bouaké, avec ses 16.000 étudiants, enregistre également ce dysfonctionnement. Dans une moindre mesure toutefois. C’est un problème de gouvernance qu’il faut pouvoir traiter avec diligence. Pensons un peu aux noms illustres que portent nos universités et, pour une fois, tâchons de leur faire honneur.

Et puis, disons-nous la vérité : La réhabilitation des universités ivoiriennes n’était que de la poudre de perlimpinpin. Une réhabilitation de façade. En outre, et à en croire les universitaires eux-mêmes, l’instauration du LMD est un échec, et la question de l’employabilité demeure. Tout cela est aggravé par des enseignements inachevés, une documentation quasi-inexistante et un déficit en équipements et en infrastructures (bureaux, amphithéâtres et salles de TD notamment). Pourtant, des enseignants de qualité, la Côte d’Ivoire peut clamer en avoir dans toutes les disciplines. Leurs compétences sont régulièrement reconnues au CAMES et dans les institutions internationales. Alors, demandons-nous pourquoi les universités où ils interviennent sont absentes des classements des meilleures universités dans le monde. L’Academic Ranking of World Universities (ou Classement de Shanghai qui répertorie les 1000 meilleures universités au monde) en donne une idée. Quinze (15) universités africaines y figurent tout de même, dont 8 d’Afrique du Sud, 5 de l’Égypte, une du Nigéria et une de la Tunisie. Mais aucune trace de nos établissements supérieurs. Il y a donc mieux à faire. Y a urgence.

Jean-Louis BILLON

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