LES GRANDS RECITS - Alessandro Zanardi, c’est l’histoire du come back du siècle. Celui d’un sportif mutilé qui a perdu ses deux jambes dans l’exercice de sa passion et en a fait une force, jusqu’à devenir un champion encore plus grand qu’il ne l’était avant son terrible accident. Une leçon de vie. La leçon d’une vie.
Fin 2018, nous vous avions proposé de choisir vous-mêmes les sujets de nos Grands Récits. Plus de 460 histoires ont été soumises par vous, lecteurs. Nous en avons retenu douze. Vous pourrez les découvrir dans notre rubrique du mardi jusqu'au mois de juin. Voici l'histoire d'Alessandro Zanardi, pilote miraculé qui a dû se réinventer et revivre après le terrible accident dont il fut victime en 2001. Un exceptionnel message d'espoir.
Cette histoire "commence" un 15 septembre. A une date où la planète n'a que faire du sport automobile. Ce 15 septembre-là, le monde a les yeux rivés sur une Amérique sidérée et embrumée par les volutes d'une fumée macabre qui se dégage encore des décombres du World Trade Center, décapité quatre jours plus tôt au cours de l'attaque terroriste la plus meurtrière de l'histoire. Visée en plein cœur, celui de ses pouvoirs économique, politique et militaire, l'Amérique sent le sol se dérober sous ses pieds. Mais la vie continue. Du moins, elle fait comme si.
Ce qui va arriver quelque 6500 kilomètres plus à l'est du globe est un astérisque à l'échelle de l'histoire du monde et de ce mois de septembre qui a donné le coup d'envoi symbolique d'un XXIe siècle bien mal né. A l'échelle d'une vie, celle d'Alessandro Zanardi, c'est un tome entier. Le pan d'une existence qui se referme. Le chapitre d'une autre qui s'ouvre.
Ce 15 septembre 2001, Zanardi se trouve en Allemagne où il doit prendre part au quinzième Grand Prix de l'année du championnat CART, sur l'ovale du Lausitzring. L'épreuve, renommée à la hâte "The American Memorial 500", a été maintenue pour rendre hommage aux victimes des attentats du 11 septembre. On a caché les sponsors, affublé les monoplaces de drapeaux à la bannière étoilée et l’affaire est entendue. Alex Zanardi n'est pas forcément chaud à l'idée de courir. Il n'est pas le seul. Mais, comme le dit l'expression consacrée, "The Show must go on". Qu'il en soit ainsi. La première étape européenne de l'histoire du CART se déroulera dans une atmosphère des plus pesantes. Avec un épilogue dramatique pour Zanardi.
Mister nobody
Le CART, quésaco ? C'est la Formule 1 à la sauce yankee. Un championnat qui a vécu entre 1979 et 2007. Il a fini par péricliter et laisser toute la place à l'IndyCar. Le CART, c'est aussi et surtout la compétition qui a révélé un homme, fait son bonheur et son malheur, si tant est que ce dernier terme soit parfaitement approprié, on y reviendra. Cet homme, c'est Alessandro Zanardi, pilote de F1 italien parti de l'autre côté de l'Atlantique au cœur des années 90 pour y (re)lancer une carrière qui n'avait rien de ronflante jusque-là. Bien au contraire.
Zanardi en F1, c'est mister nobody. Un anonyme du volant. Arrivé en 1991 chez Jordan pour y disputer les trois dernières courses de la saison, il quitte l'écurie de monsieur Eddie sur un bilan que l'on qualifiera d'honnête. Une 9e place à Barcelone pour ses débuts, un abandon à Suzuka puis une autre 9e place à Adélaïde. Voilà. Pas de quoi se relever la nuit, surtout lorsque l'on se souvient de l'entrée en scène d'un certain Michael Schumacher qui, au volant d'une Jordan lui aussi, avait crevé l'écran le temps d'un week-end ardennais.
Ces trois premières courses donnent un avant-goût (amer) de la suite. Sans volant en 1992, Zanardi joue les pompiers de service chez Minardi en lieu et place de Christian Fittipaldi, victime d'un gros accident à Magny-Cours. Trois petites apparitions. Et puis s'en va, encore. Arrive Lotus en 1993 et un volant de titulaire. Il le conservera deux ans. Ou presque. Lors du Grand Prix de Belgique, un effroyable carton au sommet du Raidillon de l'Eau Rouge le prive d'une fin de saison qu'il avait brillamment débutée, avec le point de la sixième place glané à Interlagos. Il ne le sait pas encore mais ce sera le seul de sa carrière.
Le natif de Bologne, 26 ans, récupère sa Lotus au cinquième GP de la saison suivante, la plus noire de l'histoire contemporaine de la F1. Pedro Lamy s'est brisé les deux jambes lors d'essais privés à Silverstone. Mais la mythique écurie est en bout de course. Elle va bientôt mettre la clé sous la porte. Pas de moyens. Zéro point. Oubliée la F1. Place à la suite.
"The Pass", histoire d'une folie
Alessandro Zanardi prend alors la meilleure décision de sa carrière. L'Europe ne veut pas de lui ? Il va donc voir ce qu'il se trame aux Etats-Unis. Estampillé pilote de F1, il ne devrait pas avoir trop de mal à trouver un volant, pense-t-il. Eh bien, c'est tout le contraire. L'Amérique le regarde de haut. Après tout, son CV n’est pas plus épais qu'une feuille de cigarette. Il n'est que vice-champion de F3000 et n'a rien montré dans la discipline reine du sport automobile. Il passe un an à vivoter entre GT et Porsche Supercup.
Un jour, il apprend que Chip Ganassi Racing, écurie phare du championnat CART, cherche un deuxième pilote pour accompagner Jimmy Vasser. Il se présente. Passe le test. Et est signé par le boss. Tout le monde n'est pas convaincu du choix effectué par Ganassi, notamment Mo Nunn, futur ingénieur en chef de l'Italien. Nunn a du mal avec les pilotes transalpins, trop fougueux à ses yeux. Zanardi et lui deviendront bientôt inséparables.
Après une courte phase d'adaptation bien compréhensible, Zanardi se sent comme un poisson dans l'eau. Ici, le show prévaut et les différences entre les monoplaces ne sont pas aussi colossales qu'en F1. Ovales et circuits urbains deviennent son quotidien. Dès sa première saison, Alex montre ses crocs. Une première pole à Rio, pour sa deuxième course. Le voilà lancé. Zanardi termine 3e du championnat (à égalité avec le 2e, Michael Andretti), avec trois victoires, un titre de rookie de l'année et une séquence entrée dans la légende.
Dernier tour de l'ultime course du championnat. Laguna Seca. Zanardi est dans les roues de Bryan Herta. L'Américain et sa Rahal ne le savent pas encore mais il vont bientôt être "victimes" du dépassement le plus fou de l'histoire de la discipline. Dans le tire-bouchon, le fameux gauche - droite en devers du mythique tracé californien, Alex Zanardi tente une manœuvre démente. Comme tout pilote censé le ferait (et le fait), Herta entre dans le virage par l'extérieur et freine pour prendre la corde. Mais il n'a pas encore donné le moindre coup de volant qu'il aperçoit un ovni lui griller la politesse à l'intérieur.
Zanardi y est allé à l'aveugle et s'est jeté dans le toboggan tête la première. Un peu audacieux, et ce n'est rien de le dire, l'Italien et son bolide écarlate traversent la piste comme une balle, jusqu'à friser le muret d'en face. Les deux roues dans le sable, Zanardi redresse sa monoplace au dernier moment et conserve son avantage chèrement et effrontément acquis. Il a gagné. Les Américains ont adoré. Et, comme à chaque fois qu'ils affectionnent quelque chose, ils donnent un nom à l'innommable. Ce sera "The Pass". Pour toujours. Mais plus jamais. Parce que, après coup, les autorités compétentes interdiront la manœuvre.
"J'avais élaboré un plan diabolique. Mais je dois admettre que l'exécution était un peu différente dans ma tête, en rigole-t-il encore. La différence entre être un héros et un idiot est mince… Ça a changé ma carrière". Alessandro Zanardi devient un autre homme. Lui, le pilote de F1 effacé qui a importé les donuts en Amérique - les "burn" sur la piste, pas les gâteaux - devient une star. Parce qu'il gagne, déjà. Les deux titres CART 1997 et 1998 seront pour lui. Mais aussi parce qu'il rayonne en dehors de sa monoplace.
Spaghetti bolognaise et bout de gras chez Letterman
En conférence de presse ou sur les plateaux TV, Alex régale et se régale. L'Italien vient l'humour en bandoulière et le bon mot au bord des lèvres. Toujours. "Les conférences de presse d'Alex étaient tordantes, expliquait Robin Miller dans les colonnes de Sports Illustrated quelques mois après l'accident. Il pouvait parler pendant des heures. On sentait qu'il aimait être là et nulle part ailleurs. C'était tellement rafraîchissant d'entendre 'Latka' (ndlr : surnom donné par les journalistes US en hommage au comique Andy Kaufman et l'accent qu'il utilisait quand il jouait le rôle dudit Latka). Sa joie était contagieuse. En 1998, il était devenu l'esprit du CART." Doté d'un esprit et d'une présence uniques, Alex se pointe même un soir dans le Late Show de David Letterman pour tailler le bout de gras et cuisiner des spaghetti bolognaise. Zanardi est devenu une vedette.
Tout le monde a rêvé un jour d'être prophète en son pays. Même quand on a conquis le Nouveau Monde. Zanardi ne fait pas exception à la règle. Quand Frank Williams le tire par la manche pour le rapatrier en Europe et en F1, l'envie est trop forte. D'autant qu'au moment des premiers contacts, en 1997, l'écurie britannique est encore au sommet. Grâce à Jacques Villeneuve, venu lui aussi du CART, et Heinz-Harald Frentzen, elle décroche ses derniers titres mondiaux, pilote et constructeurs.
L'Italien signe son contrat de 15 millions de dollars sur trois ans et replonge. Problème : entre le début des négociations et l'arrivée du Transalpin dans le baquet de la FW21, Williams a perdu de sa superbe, McLaren a brusquement redécollé et Ferrari entame sa mise en orbite avec Michael Schumacher. Zanardi cohabite avec un autre Schumacher, Ralf, qu'il décrit comme étant "aussi rapide qu'il est désagréable". Ambiance.
Au terme de la saison, le "frère de" aura inscrit 35 points. Zanardi ? Zéro. Le vide abyssal. Williams et l'Italien arrêtent les frais au bout d'un an. Mis à part une septième place à Monza, sur ses terres, sa saison est un cauchemar. La F1 n'est pas faite pour lui. Pas plus que lui n'est fait pour la F1.
2001. Retour à la case départ. Retour aux Etats-Unis, après une année à se vider la tête. Zanardi n'est plus chez Chip Ganassi. Mais un peu chez lui quand même puisqu'il pilote pour Mo Nunn, avec qui il a travaillé entre 1996 et 1998 et est à l'origine de l'ananas qui orne son casque depuis le début de sa carrière américaine. Pourquoi un ananas ? En raison des questions "épineuses" qu'Alex posait à Mo au tout début de leur riche collaboration. Mo Nunn Racing n'a pas la puissance de Chip Ganassi mais, au moins, le plaisir est de retour.
Un strike à 320 km/h
15 septembre 2001. Il est bientôt 15h30 quand Zanardi s'enfonce dans la ligne droite des stands. Pour la première fois depuis son retour en CART, l'Italien, qui s'est élancé de la 22e place, est aux commandes d'une course. Il reste treize tours à parcourir avant d'ajouter une 16e victoire à son palmarès. Après cinq bonnes secondes d'arrêt, le voilà reparti. Comme des centaines d'autres fois. A ceci près que son accélération, un peu trop cavalière, ne plait pas à ses gommes encore fraîches. Sa monoplace part en tête-à-queue et, après un passage bondissant dans l'herbe, se retrouve au ralenti et de profil, exposée au cœur de l'ovale.
Zanardi et sa voiture sont une quille sur une piste de bowling. A ceci près que cette quille est esseulée face à une vingtaine de boules lancées à toute berzingue. Patrick Carpentier évite miraculeusement le strike : "Je l'ai vu perdre le contrôle et partir à la dérive. J'ai pensé passer sous lui mais ça allait trop vite. Du coup, j'ai penché sur la droite et je l'ai frôlé. C'est passé à un doigt…"
Son compatriote canadien, Alex Tagliani, aura moins de réussite. Il saute sur ses freins. Mais ne peut arrêter l'histoire. Le choc est d'une violence exceptionnelle, au sens premier du terme. "Je suis carrément passé au travers de sa voiture, se rappelle Tagliani dans les colonnes de La Presse. Je l’ai frappée sur la partie la plus faible du cockpit. Quelques pouces à côté, il y a les pontons, les radiateurs, la coque est plus épaisse. Si j’avais tourné le volant à droite plutôt qu’à gauche… On serait morts tous les deux."
Personne n'est mort. Tagliani s'en sort même bien, physiquement. Mais la vie s'est arrêtée. Quatre jours après le 11 septembre, l'Amérique se réveille en ce samedi matin avec d'autres images effroyables venues d'Allemagne. La monoplace de Zanardi a été pulvérisée sous le choc et la vitesse de la Forsythe de Tagliani, lancée à plus de 320 km/heure. Tranchée en deux. Zanardi avec elle. "La puissance du crash fut si violente que cela ne lui a pas coupé les jambes, expliquera Steve Olvey, directeur médical du CART, un an plus tard. Elle les lui a explosées. Ce qu'il lui est arrivé est quasiment identique à ce que subissent les soldats qui marchent sur des mines."
" J’ai une bonne et une mauvaise nouvelle"
Dans un silence de cathédrale, qui jure avec l'empressement autour de la monoplace immobilisée et déchiquetée de Zanardi, les services médicaux s'affairent pour sauver ce qui peut l'être. L'Italien se vide de son sang, littéralement. Terry Trammel, chirurgien orthopédiste attitré du CART, est le premier sur les lieux. Il révélera à Sport Illustrated avoir glissé en arrivant sur les lieux. Il pensait que c'était de l'huile. C'était du sang. Zanardi est en train de mourir. Ses jambes sont perdues, au propre comme au figuré. Il faut juste essayer de le sauver en stoppant l'hémorragie au niveau des membres sectionnés. Il y parvient tant bien que mal, avec une ceinture notamment.
Rapidement, décision est prise d'envoyer le pilote mutilé à l'hôpital de Berlin, 37 minutes à vol d'hélicoptère. Entre l'accident et sa prise en charge au centre hospitalier de la capitale, Alessandro Zanardi fera sept arrêts cardiaques, perdra les trois quarts de son sang et aura reçu les derniers sacrements.
Cinquante-six minutes après le crash, l'Italien est en salle d'opération. Trois heures de chirurgie, deux jambes amputées à hauteur du genou pour la droite, de la cuisse pour la gauche. Il a la vie sauve. Et ne se souvient de rien, évidemment. Aujourd'hui, Alex n'est conscient que d'une seule chose : "Je n'aurais pas dû survivre. J'ai tenu quasiment 50 minutes avec moins d'un litre de sang. La science dit que c'est impossible."
Zanardi l'a fait. L'envie de vivre a été plus forte. Elle sera désormais décuplée.
Sa femme, qui n'a pas été prévenue de suite de l'ampleur des dégâts, va rapidement se rendre compte que seule l'enveloppe corporelle d'Alessandro est marquée par les affres de l'accident. Une semaine de coma et, à son réveil, sous la douleur, immense, la leçon de vie, incommensurable. "Je ne vois pas ce qu'il me manque, je vois tout ce qu'il me reste" seront ses premiers mots. L'humour, aussi, est de retour. "Quand je me suis réveillé, Daniela aurait dû me dire : 'J'ai une bonne et une mauvaise nouvelle…'"
" A sa place, je me suiciderais"
"Au moment où je me suis réveillé, je ne me suis pas dit : 'comment vais-je vivre sans jambes ?' Je me suis dit 'comment vais-je réussir à faire tout ce que je dois faire sans jambes ?' Je n'en tire aucun crédit mais j'étais plus curieux que dépressif. Ça m'a ouvert une nouvelle vie." Du Zanardi dans le texte.
Quand il se racontera à ses petits-enfants, Alex Zanardi pourra leur dire qu'il a vécu deux existences pour le prix d'une. Une première, souhaitée. Une seconde, subie. Mais réussie. Parce qu'il n'a jamais plié sous le poids du drame. Dès qu'il a pu, il n'a eu qu'un souhait : reprendre le cours normal des choses. Ce qu'il faisait avant, en somme.
"Je ne considère pas mon accident et ce qu'il m'est arrivé comme une tragédie car au bout du compte, les conséquences dont je souffre sont simplement deux jambes en métal", explique-t-il en 2003, au moment de reprendre le volant. "Tout le reste va. Si deux ou trois ans plus tôt, j'avais regardé quelqu'un dans ma situation, j'aurais ressenti de la peine et une profonde admiration, car je me serais dit : 'à sa place, je me suiciderais'. A présent que j'en ai fait l'expérience, très loin de moi l'idée du suicide ! Au contraire, je suis très heureux d'être ici."
Avec deux prothèses en titane, spécialement conçues pour lui, et une longue rééducation à Budrio, dans son Emilie-Romagne natale, Zanardi réapprend à marcher durant de longs mois. A vivre, simplement. Sans penser à la suite. Se tenir debout est une première victoire. Et une satisfaction que lui seul pouvait imaginer. Laquelle ? La voici en mille : "Avec mes jambes artificielles, je suis plus grand qu'avant".
Et la course automobile dans tout ça ? Les premiers mois, elle n'est qu'un mirage. "Quand je retrouvais un peu d'énergie, j'avais à répondre à cette question souvent. Je ne pouvais pas complètement comprendre. Car ce n'était pas pertinent : je ne pouvais même pas aller aux toilettes seul. Et ça, c'était le top de mes priorités. Je devais retrouver mon indépendance. Après, je savais que le reste serait possible. Mais je devais attendre."
L'appel de Londres
Un jour, Max Papis l'appelle au téléphone portable. Il est en voiture, qu'il contrôle manuellement. Son confrère et compatriote lui demande "qu'est-ce que tu es en train de faire ?" "240 kilomètres en une heure", lui répond Zanardi. Il est quasiment prêt. Le déclic intervient en mai 2003. Invité par le CART à boucler la course qu'il n'a pu finir ni gagner le jour de son accident, Zanardi s'installe dans une monoplace et parcourt symboliquement les treize tours manquants. "Je voulais être autorisé à attaquer à fond et les organisateurs m'ont donné leur total accord, se souvient-il. Et j'ai été le premier surpris que toutes les sensations, tous les automatismes, reviennent aussi tôt." Son meilleur tour lui aurait permis de prendre la 5e place sur la grille de départ. Il n'en fallait pas plus pour remettre une pièce dans la machine.
Avec ses mains, Zanardi va recourir. Et bien. Avec ses jambes artificielles, aussi. Il gagnera notamment quatre courses de WTCC. Mais, surtout, l'Italien va se lancer dans un nouveau défi un peu fou : le cyclisme handisport. En 2007, il s'aligne sur le marathon de New York. Pour une quatrième place des plus prometteuses. Surtout qu'il ne s'entraîne que depuis un petit mois. Une idée germe alors dans son esprit : disputer les Jeux Paralympiques de Londres. Il l'annonce en 2009. Zanardi a alors 42 ans et vient de se classer 15e place au contre-la-montre des Mondiaux.
Encore une fois, le temps joue contre lui. A Londres, l'Italien aura 45 ans. Et aura affaire à des jeunots dans la force de l'âge. Mais les mois passent et son rêve prend corps. Vainqueur du marathon de Venise en 2009, de Rome en 2010, sacré à New York en 2011 et médaillé aux Mondiaux pour la première fois, le voilà prêt à conquérir Londres l'été suivant. Ce qu'il va faire.
Brands Hatch, comme un symbole
Le hasard fait parfois bien les choses. Le jour où Zanardi grimpe au sommet de l'Olympe, il le fait à Brands Hatch, circuit automobile mythique où se déroule le contre-la-montre des Jeux Paralympiques. L'Italien n'avait jamais gagné sur cette piste volant en main. Il l'a fait avec un vélo à main. "J'avais déjà terminé deuxième et troisième ici. Il aura fallu que je revienne avec un vélo à main pour gagner. C'est un sentiment extraordinaire." Il n'en a pas conscience et est même persuadé du contraire mais l'aventure ne fait que débuter. Il lui reste un titre, sur la course en ligne, et une médaille d'argent, en relais, à décrocher à Londres. Et quatre ans à patienter avant de remettre le couvert, du côté de Rio.
49 ans bien tassés, passé de la catégorie H4 (position couchée) à H5 (position à genoux), il s'impose encore sur la course en ligne, gagne le relais par équipe, et ajoute une belle breloque argentée à sa collection sur le contre-la-montre. Depuis, Zanardi a continué de conduire, battu le record du monde de l'Iron Man pour un triathlète handicapé. A Cervia, ils étaient près de 2700 sur la ligne de départ. L'Italien s'est classé cinquième en 8 heures 26 minutes et 6 secondes. Maintenant, il se verrait bien faire un crochet par Tokyo en 2020. Si le physique suit, évidemment. La tête, elle, sera au rendez-vous. L'envie et le plaisir aussi.
En 2011, avant même la gloire paralympique, à un journaliste qui lui demandait si son terrible accident n'avait finalement pas été une bénédiction cachée, Alessandro Zanardi répondit en ces termes : "Je n'irais pas jusque-là. Cependant la meilleure manière de répondre à votre question est la suivante : si un magicien m'avait offert la possibilité de retrouver l'usage de mes jambes sans me dire de quoi seraient faites les dix années que je viens de traverser, je me gratterais la tête plusieurs fois avant de donner ma réponse."