Le 2 octobre 1958, alors que rien ne laissait prévoir un tel événement, la Guinée d'Ahmed Sékou Touré proclame son indépendance. 61 ans plus tard, Jeune Afrique revient sur ces deux jours qui ont marqué l'histoire contemporaine du pays.
Tout s’est joué le 25 août, puis le 28 septembre 1958. Revenu aux affaires en mai 1958, le général de Gaulle veut doter la France et ses possessions d’outre-mer d’une nouvelle Constitution, qui dote la métropole d’un régime davantage présidentiel (la Ve République), et permet la création d’une Communauté française pour les colonies, déjà semi-autonomes depuis la loi-cadre Defferre de 1956. Il fait en août 1958 un périple africain, dont l’une des étapes, le 25, est Conakry, rajoutée à la dernière minute pour cause de méfiance vis-à-vis de Sékou Touré.
Le 25 août, l’accueil enthousiaste de la foule s’adresse autant à de Gaulle qu’au Syli, l’éléphant, symbolisant Sékou.
Puis ce sont les discours.
L’extraordinaire tribun qu’est Sékou Touré galvanise :
« Nous ne renonçons pas et ne renoncerons jamais à notre droit légitime et naturel à l’indépendance. Il n’y a pas de dignité sans liberté; nous préférons la liberté dans la pauvreté à la richesse dans l’esclavage. »
Il entrouvre cependant une porte en précisant :
« Notre cœur, notre raison, en plus de nos intérêts les plus évidents, nous font choisir sans hésitation l’interdépendance et la liberté dans l’union, plutôt que de nous définir sans la France et contre la France. »
Sékou Touré plébiscité
Mais de Gaulle, à qui personne n’a montré le texte que Sékou a pourtant communiqué au préalable, reçoit ce discours comme un affront à la France et à sa personne. Sa réponse est lasse et désabusée :
« On a parlé d’indépendance ; je le dis ici plus haut encore qu’ailleurs, l’indépendance est à la disposition de la Guinée ; elle peut la prendre le 28 septembre en disant non à la proposition qui lui est faite et, dans ce cas, je garantis que la métropole n’y fera pas obstacle. Elle en tirera bien sûr des conséquences, mais d’obstacles elle n’en fera pas, et votre territoire pourra, comme il le voudra et dans les conditions qu’il voudra, suivre la route qu’il voudra. » Le lendemain matin, il s’envole après un bref « Adieu la Guinée »,
en disant :
« Voilà un homme avec qui nous ne nous entendrons jamais. »
Les jeux sont faits.
Ce sera « non ».
Quelques émissaires du RDA (Rassemblement démocratique africain) dépêchés par Houphouët-Boigny tentent en vain de fléchir le leader guinéen. Le Parti démocratique de Guinée est uni derrière son chef, bon nombre d’opposants, également. Paris ne se fait guère d’illusions et prépare le retrait, conseillant aux enseignants de ne pas regagner la Guinée après les congés.
Pierre Messmer, haut-commissaire à Dakar, envoie des parachutistes et fait rapatrier en catimini les réserves de billets de banque conservés à Conakry.
Le gouverneur Mauberna quitte Conakry le 26 septembre, remplacé le surlendemain par Jean Risterucci, déjà porteur de la note qu’il doit remettre à Sékou après le scrutin.
Les griots guinéens chantent une petite rengaine : « Dis-moi oui, dis-moi non, dis-moi oui ou non. »
La journée du 28 se passe dans le calme.
Dans tout le pays, les électeurs se pressent nombreux.
Les résultats du référendum sont clairs : 1 130 292 non ; 56 959 oui, ces derniers surtout dans le Fouta Djallon.
Rupture des relations diplomatiques
La France accepte le fait accompli, mais ne procède pas à la reconnaissance. Elle transfère à la Guinée les bâtiments officiels, laisse sur place des équipes réduites, mais annonce qu’il n’y aura plus d’aide budgétaire et que de nombreux projets seront arrêtés. On brûle des dossiers, on emballe des archives, on rapatrie militaires et fonctionnaires.
Sékou octroie des dizaines de titres de Compagnon de l’indépendance.
Le 2 octobre, la nouvelle Assemblée nationale présidée par Saïfoulaye Diallo proclame l’indépendance, choisit son drapeau aux trois couleurs de l’Afrique, et son hymne national, Liberté (Horoya), composé par Keita Fodéba d’après un air traditionnel du Fouta, avec un texte d’un professeur français, Paul Cellier.
Cependant qu’arrivent dès le 2 octobre les premiers télégrammes de félicitations (Ghana, Liberia, Bulgarie), Sékou, qui dirige le gouvernement en attendant d’être élu en janvier 1959 chef du nouvel État, envoie des messages à de nombreux chefs d’État et adresse un télégramme au général de Gaulle pour d’une part demander la reconnaissance de la Guinée, puis, de solliciter son parrainage pour l’admission à l’ONU et proposer des accords de coopération avec le maintien dans la zone franc.
Le général répondra évasivement, avant de s’enfermer dans un silence hostile, tout en laissant s’amorcer des tentatives de déstabilisation, ce qui dégradera progressivement les relations entre Paris et Conakry jusqu’en 1975, date de la normalisation.
Vidéo:
Spéciale Guinée-Sékou Touré